Sous la houlette de l’ancien «Monsieur Réfugiés» suisse Peter Arbenz, la Municipalité de Zurich et l’association des policiers de la ville ont conclu une convention après deux mois de conflits aux mots parfois violents. La ville accepte de réduire la charge de travail des policiers, «sans cesse croissante dans une ville qui vit 24 heures sur 24», a dit le municipal vert Daniel Leupi et, entre autres mesures, de simplifier certaines procédures. Tous sont d’accord pour dire qu’il faut créer des postes supplémentaires. Coup de projecteur sur un métier en pleine évolution, avec Frédéric Maillard, expert intervenant dans les formations de policiers cantonaux et municipaux suisses.

Selon vous, la police est une «corporation tourmentée». Le malaise est-il si profond?
Oui, c’est unmalaise qui ronge l’intérieur de la profession. Dans le cadre de mes analyses de pratique, j’ai rencontré 900 policiers suisses. La majorité d’entre eux se sentent trompés. Le problème est que le recrutement se base essentiellement sur des critères de performance ou de dextérité physique. Après leur année de formation – songeons qu’il en faut quatre pour un pâtissier – et deux années d’intégration de base, les policiers se retrouvent confrontés à des situations où il leur faut résister à des pressions culturelles et faire preuve de capacité d’analyse qu’ils n’ont pas forcément. Ils sont en décalage avec la réalité.

Les problèmes d’effectifs seraient alors exagérés?
Les problèmes de sous-effectifs et d’heures supplémentaires sont réels, mais la police reste privilégiée en Suisse. Or les corps de police n’ont laissé entrer d’autres disciplines – sociologie, philosophie, criminologie – que très récemment. Au fil du temps, la police, auto-satisfaite, s’était isolée. On doit l’ouverture à l’initiative personnelle de certains commandants ayant un autre bagage que militaire. Il est essentiel que les policiers comprennent qu’ils sont les détenteurs de la légitimité d’exercer la force, mais aussi les premiers défenseurs des droits humains. C’est cela, le fonde- ment de la profession de policier, pas la guérilla urbaine.

Ne le comprennent-ils pas déjà?
Dans les cours sur les droits humains que je donne pour le brevet fédéral de policier, j’en vois qui vacillent, d’autres qui sont désabusés, d’autres qui ne comprennent plus rien et pensent «on n’est pas là pour faire du social.» Malheureusement, les cas d’«expéditions», avec musique forte et vocabulaire guerrier et dépréciatif envers certains groupes de la population, existent encore.

Comment changer les mentalités?
Il faut élargir les compétences au recrutement et ajouter de la biodiversité au métier, avec des personnes venant d’autres horizons, ayant des âges différents, et un accroissement du nombre de femmes policières. Il est constaté que les patrouilles mixtes obtiennent de meilleurs résultats. Le policier joue un rôle très important, il est le dernier à pouvoir faire quelque chose quand tous les acteurs sociaux ont échoué.

Propos recueillis par Ariane Gigon, Zurich