Devrions-nous vraiment tous filmer la police?
Lausanne Cité – ECLAIRAGE / 09.03.16 / JONAS SCHNEITER
Le Vaudois Kyril Gossweiler s’est récemment fait arrêter en photographiant des policiers.
Pourtant, les polices cantonales reconnaissent que la pratique n’est pas illégale à condition qu’elle n’entrave pas l’activité de la police.
Le copwatching, le fait de dénoncer les mauvaises actions de la police sur internet, est devenu un véritable phénomène aux États-Unis.
Le regard de Kyril Gossweiler est très probablement un peu plus aiguisé que celui de la majorité des citoyens. Des fonctionnaires qui abusent de leur statut, des règles absurdes, des services qui ne fonctionnent pas, le Vaudois a pris l’habitude de les dénoncer, dans le but de les améliorer promet-il. Sachant que de nombreux journaux font appel à des photos de lecteurs, et que le public photographie volontiers les évènements dont il est témoin dans la rue, il lui vient l’idée d’écrire aux directions des Polices cantonales afin de leur demander s’il était légal de photographier ou filmer les agents. La réponse est unanime: oui, quand un policier est en uniforme et dans un lieu public, il travaille pour la population et peut donc être photographié, voire filmé. A condition, bien sûr, qu’il ne s’agisse pas d’une opération secrète ou que celui qui filme ne dérange pas l’intervention. «Mais l’an dernier, j’ai été emmené au poste par des policiers neuchâtelois qui voulaient que j’efface les images que j’avais prises d’eux en m’expliquant que je n’avais pas le droit de les photographier. J’ai donc porté plainte pour abus de pouvoir», raconte Kyril.
Rattrapé par la tendance
Depuis, la police neuchâteloise a informé ses agents qu’ils devaient accepter de se faire filmer mais, selon nos informations, la grande majorité des agents des autres cantons ou des polices communales sont particulièrement mal informés sur le sujet. Un manquement qui pourrait naturellement poser quelques problèmes sur le terrain.
D’ailleurs, l’avocat lausannois Gilles Monnier, pourtant l’un des spécialistes de la propriété intellectuelle, est dubitatif sur la légalité du copwatching en Suisse. «Nos lois ont toujours un peu de retard lorsqu’il faut régler de nouvelles situations et il existe souvent un flou qui met un certain temps avant d’être comblé. La diffusion des images voire déjà leur captation peut avoir des conséquences sur le plan pénal et civil. Flouter les images ne suffit même pas forcément à réellement protéger la personnalité du fonctionnaire», résume-t-il. Si les images ne peuvent pas être diffusées, pourquoi donc les capter? La seule utilisation possible serait alors de signaler un dysfonctionnement à la hiérarchie, ou à la presse afin qu’elle enquête. Mais, avant de raccrocher, l’avocat confesse: «Je suis dubitatif à l’idée de constituer un contre-pouvoir citoyen avec des téléphones portables. Chez nous, les lois et les acteurs de justice et de police fonctionnent suffisamment bien.»
Améliorer notre police
La véritable question reste alors de savoir si le policier, ou n’importe quel autre fonctionnaire qui serait filmé par le citoyen, travaillera alors de manière plus efficace ou déontologique. A ce sujet, Kyril Gossweiler, copwatcher convaincu, fait remarquer que son coup d’éclat aura eu le mérite de motiver la direction à établir une fiche d’information pour ses agents. Sur ce point donc, le fait qu’un citoyen ait dégainé son téléphone aura effectivement permis d’améliorer le système.
Un avis que partage Frédéric Maillard, observateur et formateur de nombreux corps de police suisses, y compris dans la région lausannoise: «La police doit aujourd’hui comprendre qu’elle agit toujours sous le regard de l’ensemble de la cité. Ce n’est pas un problème puisqu’un policier n’est là finalement que pour exercer un pouvoir que nous avons décidé de lui déléguer. La moindre des choses est donc que nous puissions y assister!»
Mieux expliquer
Une rapide recherche sur internet permet de tomber sur une foule de vidéos d’intervention de police, y compris en Suisse. On se rend alors rapidement compte à quel point il est généralement difficile d’évaluer le travail de ces agents sans aucune formation. La limite entre une intervention musclée et une dérive violente est ténue. Est-ce que le citoyen peut distinguer l’une de l’autre avec quelques images de mauvaises qualités? «Non! Je me souviens d’un scandale qui avait éclaté à Genève après une interpellation très mouvementée. En vérité, il s’est avéré que la police avait vraiment tout fait juste, mais avait oublié un point crucial: expliquer aux témoins dans les détails ce qu’il s’était passé», répond Frédéric Maillard. Il prévoit même que, d’ici quelques années, il existera des cours pour donner aux citoyens les clés nécessaires à l’évaluation et la compréhension du travail de la police. Des perspectives moins sensationnelles qu’une vidéo de 2 minutes sur Youtube, mais autrement plus intéressantes.