Malaise policier…
… l’urgence de lieux de vidage libres, neutres et indépendants
« Vos petits malheurs, je m’assieds dessus » clamait haut et fort (à l’adresse de tous les policiers présents), il y a à peine dix ans, le chef d’une police romande lors de son bilan annuel. Autre lieu : la Police cantonale vaudoise; à en croire les propos de son commandant, qui s’exprimait dimanche soir 18 juin 2017 sur RTS – Mise au point (sujet de Marie Abbet), la prise en considération de l’épuisement professionnel a bien évolué.
(2 minutes de lecture – le féminin est compris dans le texte)
Le burn-out des policiers
Au moins cinq causes ont été identifiées par les services de psychologie de plusieurs polices suisses. L’ordre d’importance varie selon les cas.
Des processus d’enquête et administratifs toujours plus complexes.
Un environnement institutionnel oppressant – hiérarchie et voies de service – qui empêche ou étouffe la remise en question.
Les causes extérieures – souvent inhérentes à la fonction de policier – se traduisant par des violences ou incivilités. Y compris les évènements critiques, à petite ou grande échelle “… qui sont une part non négligeable du stress des professionnels à risques” dixit Martine Bourquin, psychologue et ancienne déléguée du CICR.
Des situations familiales et personnelles instables et/ou changeantes.
Le manque d’effectif (variable selon les organisations).
« J’ai l’impression que parfois nous souffrons de schizophrénie. C’est mal vu dans le job de parler de nos problèmes alors on prend sur nous » « Les autres, les étrangers, les asociaux deviennent nos boucs émissaires… » « Depuis l’introduction du Brevet fédéral (en 2004 ndlr.), on nous a mis à disposition des intervenants extérieurs pour relayer nos critiques. Mais, le problème, c’est que lorsqu’ils se sont exprimés, on a tout renié… ch’ais pas… on ne veut pas se voir dans le miroir… on est trop fier… bon, on nous a aussi formaté comme ça… »
(Extraits de témoignages recueillis en analyse des pratiques professionnelles et en formation continue dans le cadre du Diplôme supérieur de policier (Brevet fédéral II) et en formations continues internes au sein de trois corporations romandes, l’une cantonale, l’autre municipale et la dernière régionale, de 2009 à 2014)
Les hostilités exogènes
Force est de constater que nous sommes impuissants face aux comportements indignes de certains groupuscules à l’encontre de nos représentants d’État, qu’ils soient urgentistes sanitaires, régulateurs téléphonistes ou agents de police. Je pourrais encore évoquer, ici, les conditions de travail des agents pénitentiaires qui agissent en milieu fermé mais qui subissent aussi des pressions. Toutes ces violences sont inacceptables. Néanmoins, nous devons les distinguer des formes de contestation (dans la limite égale) de l’autorité auxquelles nous assistons depuis deux ou trois décennies. Ces dernières, comme autant de revendications, sont, de manière générale, profitables à la société et préviennent, le cas échéant, certains abus des pouvoirs institutionnels.
“C’est le sujet qui fâche, le grand dilemme, l’ambiguïté parfaite…” me signalait l’autre jour un chef opérationnel alémanique. Il complétait : ” Un ambulancier, peut-il se plaindre des accidents ? Un policier, peut-il se plaindre des hostilités ? Quelle proportion ? Quelle limite ? Tant de nos jeunes (aspirants policiers ndlr.) n’attendent que la fin de leur formation pour batailler en rue…”
L’exemple du corps médical
Le corps médical profite aujourd’hui de l’augmentation des savoirs et des exigences de ses patients. Il profite de leurs revendications et de leur autonomie grandissante pour renforcer les liens relationnels et élaborer des diagnostics plus précis. Le directeur de l’institut universitaire de médecine de famille du CHUV s’exprimait sur les ondes de la RTS radio La Première le mardi 13 juin 2017. Il n’hésite pas à reconnaître une part de responsabilité et à trouver que son propre enseignement n’est pas assez bon. Ces remises en question sont rares dans les milieux policiers. La tendance est plutôt d’imputer les tiers.
La société est en pleine mutation pour tous et impacte tous les secteurs professionnels.
Il est donc nécessaire, selon moi, de critiquer les institutions, leur fonctionnement afin d’épargner autant que possible les membres individuels.
Briser le tabou !
De l’avis même des policiers praticiens que je croise jour après jour, la création de lieux de vidage représenterait un réel progrès.
De tels lieux pourraient offrir de nombreux avantages.
Voici cinq exemples :
Le policier pourrait sortir son « joker professionnel » et éviter, à terme, une erreur pouvant se dégrader jusqu’à la faute avec son risque de bavure.
Le policier pourrait sortir son « joker » à l’abri du regard de ses collègues et des mesures de qualification de sa hiérarchie.
Le policier pourrait mieux maîtriser son destin professionnel, renforcer son autonomie et développer ses propres résolutions… sans attendre, parfois des mois durant, l’aval d’une dizaine de chefs successifs.
Le policier pourrait bénéficier d’un diagnostic psychosocial neutre et indépendant.
L’institution pourrait, quant à elle – enfin -, compter sur d’objectives statistiques afin de prévenir sérieusement les discriminations, les incapacités et dysfonctionnements opérationnels consécutifs aux formes d’épuisement professionnel.